CELEX:62022CO0515: Ordonanța Curții (Camera a șasea) din 8 februarie 2024.#Tirrenia di navigazione SpA împotriva Comisiei Europene.#Cauza C-515/22 P.
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Redacția Lex24 |
Publicat in Repertoriu EUR-Lex, CJUE: Decizii, 27/06/2024 |
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Informatii
Data documentului: 08/02/2024Emitent: CJCE
Formă: Repertoriu EUR-Lex
Formă: CJUE: Decizii
Stat sau organizație la originea cererii: Italia
ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
8 février 2024 (*)
« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Aides d’État – Transport maritime – Service d’intérêt économique général – Aide accordée à une entreprise de transport maritime – Décision déclarant l’aide illégale – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Intérêts échus – Délai de prescription – Aide nouvelle – Incompatibilité avec le marché intérieur – Effets d’une entente sur le marché – Durée excessive de la procédure – Protection de la confiance légitime – Sécurité juridique – Principe de bonne administration »
Dans l’affaire C‑515/22 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 29 juillet 2022,
Tirrenia di navigazione SpA, établie à Rome (Italie), représentée par Mes A. Moriconi, B. Nascimbene et F. Rossi Dal Pozzo, avvocati,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée initialement par M. G. Braga da Cruz et Mme D. Recchia, puis par Mme D. Recchia, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, Tirrenia di navigazione SpA (ci-après « Tirrenia ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 mai 2022, Tirrenia di navigazione/Commission (T-601/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:302), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation partielle de la décision (UE) 2020/1411 de la Commission, du 2 mars 2020, concernant l’aide d’État C 64/99 (ex NN 68/99) mise à exécution par l’Italie en faveur des compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (groupe Tirrenia) (JO 2020, L 332, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
Le règlement (UE) 2015/1589
2 Le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), comporte un article 16, intitulé « Récupération de l’aide », libellé comme suit :
« 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission [européenne] décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire […] La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union.
2. L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération.
3. Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice de l’Union européenne prise en application de l’article 278 [TFUE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin, et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit de l’Union. »
3 L’article 17 de ce règlement, intitulé « Prescription en matière de récupération de l’aide », prévoit :
« 1. Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.
2. Le délai de prescription commence le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne.
3. Toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante. »
Le règlement de procédure du Tribunal
4 L’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal dispose :
« À titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles‑ci soit justifié. »
Les antécédents du litige
5 Les antécédents du litige sont exposés comme suit aux points 2 à 44 de l’arrêt attaqué :
« 2 À la suite de nombreuses plaintes qu’elle avait reçues, la Commission des Communautés européennes a décidé, en 1999, d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE à l’égard des aides versées à six sociétés de l’ancien groupe Tirrenia SpA, à savoir Tirrenia, Adriatica di Navigazione SpA (ci-après “Adriatica”), Caremar – Campania Regionale Marittima SpA (ci‑après “Caremar”), Saremar – Sardegna Regionale Marittima SpA (ci-après “Saremar”), Siremar – Sicilia Regionale Marittima SpA (ci-après “Siremar”) et Toremar – Toscana Regionale Marittima SpA (ci-après “Toremar”). À cette époque, Fintecna – Finanziaria per i Settori Industriale e dei Servizi SpA détenait l’intégralité du capital social de Tirrenia, laquelle était, à son tour, propriétaire des sociétés régionales Adriatica, Caremar, Saremar, Siremar et Toremar.
3 Les aides étaient octroyées sous forme de subventions versées directement à chaque société du groupe afin de soutenir les services de transport maritime assurés par lesdites sociétés dans le cadre de six conventions de service public conclues en 1991 avec la République italienne (ci-après les “conventions initiales”). L’objectif de ces conventions était de garantir la prestation de services de transport maritime, portant essentiellement sur des liaisons entre l’Italie continentale et des îles italiennes, notamment la Sicile et la Sardaigne.
4 Par lettre du 6 août 1999, la Commission a informé les autorités italiennes de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Ces dernières ont fait part de leurs observations par lettre du 28 septembre 1999.
[…]
8 Au cours de l’instruction, les autorités italiennes ont demandé que l’examen du dossier concernant le groupe Tirrenia soit scindé afin de parvenir, en priorité, à une décision finale concernant Tirrenia. La demande était justifiée par la volonté des autorités italiennes de procéder à la privatisation du groupe en commençant par Tirrenia et par leur intention d’accélérer le processus dans le cas de cette société.
9 Eu égard à cette demande, la Commission a constaté que, si Tirrenia assumait un rôle de leader en ce qui concernait la stratégie financière et commerciale du groupe, les six sociétés qui faisaient alors partie du groupe, juridiquement indépendantes, opéraient sur des segments de marchés géographiquement distincts, soumis à des degrés de concurrence variables, tant de la part d’opérateurs privés italiens que d’opérateurs d’autres États membres. Elle a également constaté que les subventions versées par les autorités italiennes, dans le cadre des conventions initiales, étaient calculées de façon à couvrir le déficit net d’exploitation des lignes desservies par chacune desdites sociétés et octroyées directement à celle-ci, sans transiter par Tirrenia. Enfin, les autres mesures d’aide visées par la procédure appelant également une analyse séparée pour chaque société du groupe, la Commission a estimé qu’il était possible d’accéder à la demande des autorités italiennes et, par la décision 2001/851/CE, du 21 juin 2001, concernant les aides d’État versées par l’Italie à la compagnie maritime Tirrenia di Navigazione (JO 2001, L 318, p. 9), a clos la procédure à l’égard des aides versées à Tirrenia.
10 La procédure est restée ouverte en ce qui concernait les aides octroyées à Adriatica, Caremar, Saremar, Siremar et Toremar. Lors de réunions qui se sont tenues entre la Commission et les autorités italiennes, ces dernières ont fourni, pour chacune des lignes desservies par ces sociétés, des informations relatives aux spécificités des marchés en cause, à l’évolution du trafic, à la présence éventuelle d’entreprises concurrentes et à l’évolution du niveau des financements publics accordés à chaque société.
[…]
12 Enfin, par la décision 2005/163/CE, du 16 mars 2004, concernant les aides d’État versées par l’Italie aux compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (Gruppo Tirrenia) (JO 2005, L 53, p. 29), la Commission a établi que les compensations octroyées par la République italienne aux compagnies régionales étaient partiellement compatibles avec le marché intérieur, à condition qu’elles respectent certains engagements, et partiellement incompatibles. La Commission a ordonné la récupération de la partie des aides déclarée incompatible avec le marché intérieur.
13 S’agissant d’Adriatica, il ressortait de l’article 1er de la décision 2005/163 que les aides concernant la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras qui lui avaient été octroyées pour la période allant de janvier 1992 à juillet 1994 étaient incompatibles avec le marché intérieur. La République italienne devait prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès d’Adriatica les aides visées et illégalement mises à disposition. L’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, de ladite décision précisait que la récupération devait avoir lieu sans délai, conformément aux procédures nationales, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de cette décision. Enfin, l’article 1er, paragraphe 4, de ladite décision précisait, notamment, que les aides à récupérer incluaient des intérêts à partir de la date à laquelle elles avaient été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à la date de leur récupération. Les articles 2 à 4 de la décision 2005/163 concernaient les autres sociétés du groupe Tirrenia.
14 Trois recours en annulation ont été introduits contre la décision 2005/163, respectivement par Tirrenia, qui avait acquis les activités courantes d’Adriatica en 2004 (affaire T‑265/04), par Caremar, Saremar, Siremar et Toremar (affaire T‑292/04) et par Navigazione Libera del Golfo SpA (affaire T‑504/04).
[…]
15 Par l’arrêt du 4 mars 2009, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission (T‑265/04, T‑292/04 et T‑504/04, […] EU:T:2009:48), le Tribunal a annulé la décision 2005/163.
16 En particulier, le Tribunal a estimé que la Commission n’avait pas fourni suffisamment d’explications sur les raisons pour lesquelles, ainsi que l’affirmaient les parties requérantes, l’aide consistant en des subventions publiques de certaines liaisons maritimes avait été considérée comme nouvelle et non comme existante. Plus précisément, il a estimé que la Commission n’avait pas suffisamment motivé les raisons pour lesquelles elle avait considéré que ladite aide n’était pas antérieure à l’entrée en vigueur du traité CE en Italie, alors que les autorités italiennes avaient soutenu, lors de la procédure administrative, que l’aide en question reposait sur les dispositions des décrets-lois royaux nos 2081 et 2082, adoptés le 7 décembre 1936 (ci-après les “décrets-lois de 1936”). En outre, le Tribunal a estimé que la Commission n’avait pas suffisamment tenu compte des déclarations formulées par les autorités italiennes au cours de la procédure formelle d’examen, à savoir que les modifications ultérieures apportées au cadre juridique applicable avaient uniquement eu pour effet de réduire le montant global des aides (arrêt du 4 mars 2009, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission, T‑265/04, T‑292/04 et T‑504/04, […] EU:T:2009:48, points 97 à 134).
17 Par ailleurs, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas appliqué l’article 4, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO 1992, L 364, p. 7), qui permet aux contrats de service public existants de rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration respective. Le Tribunal a estimé que les compensations versées aux compagnies régionales du groupe Tirrenia en vertu des conventions initiales pour l’exploitation des lignes de cabotage constituaient une aide existante, dans la mesure où la Commission avait déjà conclu que ces compensations ne dépassaient pas ce qui était nécessaire pour assurer les obligations de service public (arrêt du 4 mars 2009, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission, T‑265/04, T‑292/04 et T‑504/04, […] EU:T:2009:48, points 140 à 148).
[…]
18 À la suite de l’arrêt du 4 mars 2009, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission (T‑265/04, T‑292/04 et T‑504/04, […] EU:T:2009:48), la Commission a, par lettre du 7 avril 2010, invité les autorités italiennes à présenter leurs observations sur l’annulation de la décision 2005/163 et à fournir tous les renseignements demandés en vue d’apprécier les mesures en question de manière exhaustive. En particulier, elle a demandé aux autorités italiennes de lui fournir, dans un premier temps, des précisions concernant les liaisons internationales exploitées par Adriatica et Saremar, notamment la période d’exploitation, l’acte juridique fixant les obligations de service public et les caractéristiques du service (régularité, capacité, fréquence, type de navires), ainsi que toute modification ultérieure éventuelle des obligations de service public, et, dans un second temps, une description du mécanisme de compensation et de toute modification ultérieure de la méthode de calcul de la compensation et de la rémunération des capitaux investis, ainsi que de leurs effets sur le niveau de la compensation.
19 À la même date, la Commission a également demandé aux parties concernées par la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision 2005/163 de formuler des observations à cet égard. La Commission n’a reçu que les observations des bénéficiaires des mesures faisant l’objet de la décision 2005/163 et elle les a transmises aux autorités italiennes.
20 N’ayant pas reçu de réponse à sa lettre du 7 avril 2010, la Commission a rappelé aux autorités italiennes, par lettre du 22 juin 2010, de lui fournir les renseignements demandés.
21 Par lettre du 27 juillet 2010, les autorités italiennes ont fourni certains éclaircissements concernant la législation applicable aux régimes de service public dans le secteur maritime en Italie.
22 Par lettre du 22 décembre 2010, la Commission a demandé aux autorités italiennes de lui fournir des renseignements supplémentaires.
23 Par lettre du 29 juin 2011, la Commission a de nouveau invité les autorités italiennes à lui fournir les renseignements demandés. Elle a explicitement informé les autorités italiennes que, si ces renseignements ne lui étaient pas communiqués dans le délai imparti, elle délivrerait une injonction de fournir des informations.
24 Par lettre du 19 juillet 2011, les autorités italiennes ont fourni certains éclaircissements concernant certains points de la demande de la Commission du 22 décembre 2010. Elles lui ont notamment communiqué les compensations annuelles octroyées à Adriatica au cours de la période 2001-2004 et à Saremar, Toremar, Siremar et Caremar au cours de la période 2001-2008, lui ont confirmé que les conditions imposées par la décision 2005/163 avaient été respectées et lui ont expliqué que, au lieu d’adopter des plans quinquennaux pour les périodes 2000-2004 et 2005-2008, des mesures de rationalisation ad hoc avaient été prises pour mieux adapter les services aux besoins des populations locales, sans pour autant modifier le système du service public de manière significative. En ce qui concernait le niveau des bénéfices, les autorités italiennes ont expliqué que, compte tenu du temps considérable qui s’était écoulé depuis l’adoption de la décision 2005/163, et, en particulier, du calendrier imposé et de la complexité des renseignements demandés, il aurait été impossible de retrouver rapidement ces derniers dans les archives du ministère. Aucune réponse complète n’a donc été apportée à la lettre de la Commission du 22 décembre 2010.
25 Dans le courant du mois de juin 2012, une réunion a été organisée avec les autorités italiennes afin de compléter le dossier et de permettre à la Commission de conclure sur l’appréciation des mesures en question. Lors de cette réunion, la Commission a demandé des renseignements détaillés, notamment pour s’assurer que les sociétés concernées n’avaient reçu aucune surcompensation.
26 Dès lors que les renseignements fournis par les autorités italiennes à la suite de ladite réunion étaient insuffisants pour permettre à la Commission de clore l’appréciation des mesures en cause, une nouvelle demande de renseignements leur a été envoyée le 7 novembre 2012, dont une demande concernant la liste des lignes internationales exploitées par Adriatica.
27 Par lettre du 7 décembre 2012, les autorités italiennes ont fourni des réponses incomplètes aux questions posées par la Commission.
28 Le 28 janvier 2013, un nouveau rappel a été envoyé aux autorités italiennes, les invitant à communiquer sans délai tous les renseignements demandés précédemment. La Commission a de nouveau explicitement informé les autorités italiennes qu’elle délivrerait une injonction de fournir des informations en cas de non-communication de tous les renseignements demandés dans les délais impartis.
29 Le 11 mars 2013, la Commission a enjoint à la République italienne de lui fournir les renseignements sollicités dans les lettres des 22 décembre 2010 et 7 novembre 2012.
30 Le 10 avril 2013, la République italienne a répondu à l’injonction de fournir des informations et a communiqué les coûts et les recettes d’exploitation ainsi que le montant de la subvention annuelle (calculée comme étant la différence entre les coûts et les recettes, sans marge pour l’opérateur) pour toutes les sociétés après 2004. Elle n’a toutefois pas donné suite aux autres demandes contenues dans l’injonction de la Commission.
31 Le 16 octobre 2015, la Commission a demandé à la République italienne de lui fournir des renseignements supplémentaires sur la concentration entre Adriatica et Tirrenia, notamment concernant la vente des actifs d’Adriatica et les conditions de la concentration. Par lettre du 22 octobre 2015, les autorités italiennes ont répondu que, par décision du 18 mars 2004, Tirrenia avait acquis les activités courantes de sa propre filiale, que cette concentration n’avait pas eu d’incidence sur les activités exercées par Adriatica en vertu des conventions initiales et qu’elle n’avait pas non plus entraîné de modification des compensations prévues par ces dernières.
32 Le 18 octobre 2018, la Commission a invité la République italienne à lui fournir des éclaircissements concernant la compensation octroyée pour la ligne Bari/Durazzo ainsi que le montant exact de l’aide (capital et intérêts) récupérée par les autorités italiennes pour l’exploitation de la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras au cours de la période 1992-1994. La République italienne a répondu le 21 décembre 2018, précisant qu’aucune compensation n’avait été octroyée pour les services fournis sur la ligne Bari/Durazzo au cours de la période 2002-2008 et confirmant que la récupération de la somme de 8 651 600 euros d’aides incompatibles avec le marché intérieur octroyées à Adriatica entre janvier 1992 et juillet 1994 pour l’exploitation de la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras ne comprenait pas les intérêts relatifs à la période comprise entre le 1er janvier et le 26 mars 2007.
[…]
33 Le 2 mars 2020, la Commission a adopté la décision [litigieuse].
34 La décision [litigieuse] ne concerne que les subventions reçues par Adriatica, Caremar, Saremar, Siremar et Toremar au cours de la période 1992-2008. La présente affaire concerne, quant à elle, uniquement Adriatica, et plus précisément l’exploitation de la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras entre janvier 1992 et juillet 1994.
35 À cet égard, la Commission a considéré que les liaisons internationales exploitées par Adriatica constituaient des aides nouvelles, dès lors que, en substance, d’abord, l’activation de la plupart des lignes internationales n’était pas antérieure à la date d’entrée en vigueur du traité CE, ensuite, la base juridique sur laquelle reposait l’octroi de la compensation avait été abrogée après l’entrée en vigueur dudit traité et, enfin, des modifications substantielles avaient été apportées au régime initial (voir considérants 210 à 218 de la décision [litigieuse]).
36 Après avoir conclu que les aides octroyées par la République italienne à la requérante étaient nouvelles, la Commission a apprécié leur compatibilité au regard de sa communication relative à l’encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public (JO 2012, C 8, p. 15, ci-après l’“encadrement”).
37 S’agissant, en particulier, de la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras, il ressort, en substance, des considérants 237 à 242 de la décision [litigieuse] que cette ligne avait été inscrite, à la demande des autorités italiennes et grecques, sur la liste des lignes ferroviaires et des services automobiles et de navigation auxquels s’appliquait la convention internationale du 7 février 1970 concernant le transport des voyageurs et des bagages par chemins de fer. Les informations fournies par les autorités italiennes ont montré, lors de la réunion du 26 octobre 2001, qu’Adriatica avait exploité cette ligne de 1992 à 1999, en particulier entre 1996 et 1999, lorsque les opérateurs concurrents d’Adriatica n’assuraient pas un service comportant les mêmes garanties en termes de qualité des moyens utilisés et, accessoirement, de régularité et de fréquence des services. La Commission a donc conclu que l’exploitation des liaisons maritimes entre l’Italie et la Grèce par Adriatica constituait un véritable service d’intérêt économique général (ci-après “SIEG”).
38 Aux considérants 262 à 275 de la décision [litigieuse], la Commission a vérifié qu’Adriatica avait été expressément chargée de la fourniture des services en question et que la compensation qu’elle percevait était proportionnée à l’encadrement.
39 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du considérant 278 de la décision [litigieuse], la Commission a noté que, entre le 30 octobre 1990 et le mois de juillet 1994, Adriatica avait participé à une entente ayant pour objet la fixation des prix à appliquer aux véhicules commerciaux sur la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras, en violation de l’article 101 TFUE, alors qu’elle bénéficiait d’aides pour l’exploitation de cette même ligne. La Commission a déduit de la participation à cette entente que l’aide octroyée à Adriatica sous forme de compensations des obligations de service public pour l’exploitation de la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras entre janvier 1992 et juillet 1994 était incompatible avec le marché intérieur.
40 La Commission a donc estimé, au considérant 290 de la décision [litigieuse], que la compensation des obligations de service public, notamment à Adriatica, pour l’exploitation des lignes internationales jusqu’à la fin de l’année 2008 constituait une aide nouvelle qui était compatible avec le marché intérieur, à l’exception de la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras, dès lors qu’elle était étroitement liée à une entente interdite par l’article 101 TFUE.
41 C’est dans ces conditions que la Commission a adopté la décision [litigieuse], laquelle dispose, en son article 1er, paragraphes 1 à 3, ce qui suit :
“1. Les aides octroyées à Adriatica, à Caremar, à Siremar, à Saremar et à Toremar entre le 1er janvier 1992 et le 31 décembre 2008 à titre de compensation pour l’exploitation des lignes nationales constituent des aides existantes.
2. Sous réserve du paragraphe 3, les aides octroyées par l’Italie à Adriatica et à Saremar entre le 1er janvier 1992 et le 31 décembre 2008 à titre de compensation pour l’exploitation des lignes internationales sont compatibles avec le marché intérieur au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.
3. Les aides octroyées à Adriatica pour la période comprise entre janvier 1992 et juillet 1994 en lien avec la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras, illégalement mise à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], sont incompatibles avec le marché intérieur.”
42 L’article 2 de la décision [litigieuse] est rédigé ainsi :
“1. L’Italie est tenue de procéder à la récupération, auprès du bénéficiaire, des aides visées à l’article 1er, paragraphe 3.
2. Les sommes à récupérer produisent des intérêts, qui courent à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire jusqu’à leur récupération effective.
3. Les intérêts sont calculés sur une base composée, conformément au chapitre V du règlement (CE) no 794/2004 [de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 2004, L 140, p. 1),] et au règlement (CE) no 271/2008 [de la Commission, du 30 janvier 2008,] modifiant le règlement (CE) no 794/2004 [(JO 2008, L 82, p. 1)].
4. Sur la base des informations dont elle dispose, la Commission reconnaît que l’Italie a déjà récupéré le montant du capital de l’aide ainsi qu’une partie des intérêts dus auprès du bénéficiaire.”
43 L’article 3 de la décision [litigieuse] précise ce qui suit :
“1. La récupération des aides visées à l’article 2 est immédiate et effective.
2. L’Italie veille à ce que la présente décision soit exécutée dans les quatre mois suivant la date de sa notification.”
44 L’article 4 de la décision [litigieuse] dispose ce qui suit :
“1. Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, l’Italie communique les informations suivantes :
a) le montant total (principal et intérêts) à récupérer auprès du bénéficiaire ;
b) une description détaillée des mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision ;
c) les documents démontrant que les bénéficiaires ont été mis en demeure de rembourser l’aide.
2. L’Italie tient la Commission informée de l’avancement des mesures nationales prises pour mettre en œuvre la présente décision jusqu’à la récupération complète des aides visées à l’article 1er, paragraphe 3. Elle transmet immédiatement, sur simple demande de la Commission, toute information sur les mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision. Elle fournit également des informations détaillées concernant les montants de l’aide et des intérêts déjà récupérés auprès des bénéficiaires.” »
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 septembre 2020, Tirrenia a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’article 2 de cette décision.
7 À l’appui de sa requête, Tirrenia a invoqué trois moyens. Le premier moyen était tiré de l’expiration du délai de prescription applicable à la récupération des intérêts afférents à l’aide octroyée à Adriatica pour la période comprise entre le mois de janvier 1992 et le mois de juillet 1994 concernant la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras (ci-après l’« aide accordée à Adriatica »). Le deuxième moyen était tiré de l’application erronée des dispositions en matière d’aides d’État, de la qualification erronée de l’aide accordée à Adriatica d’aide nouvelle, de l’illégalité de la décision déclarant cette aide nouvelle et incompatible ainsi que de la violation de l’obligation de motivation et du principe de proportionnalité. Le troisième moyen, enfin, était tiré de la violation des principes de sécurité juridique, de bonne administration et de protection de la confiance légitime en ce qui concerne la durée de la procédure.
8 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité et a condamné Tirrenia aux dépens.
Les conclusions des parties au pourvoi
9 Tirrenia demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– à titre principal, d’annuler l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 2 de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et
– de condamner la Commission aux dépens des deux instances.
10 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant partiellement irrecevable et, en tout état de cause, non fondé et
– de condamner Tirrenia aux dépens de l’instance.
Sur le pourvoi
11 En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter totalement ou partiellement ce pourvoi par voie d’ordonnance motivée.
12 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
13 À l’appui de son pourvoi, Tirrenia soulève quatre moyens. Le premier moyen est tiré de la violation des règles de procédure en ce qui concerne le délai de prescription applicable à la récupération des intérêts afférents à l’aide accordée à Adriatica. Le deuxième moyen est tiré de la qualification erronée de l’aide accordée à Adriatica d’aide nouvelle, de l’illégalité de la décision déclarant cette aide nouvelle et incompatible ainsi que de la violation de l’obligation de motivation et du principe de proportionnalité. Le troisième moyen est tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration en ce qui concerne la durée de la procédure ainsi que de la méconnaissance de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») et des principes de protection de la confiance légitime et de proportionnalité. Le quatrième moyen, enfin, est tiré d’une violation du règlement de procédure du Tribunal, d’un défaut de motivation, de la violation des droits de la défense et d’une violation de la Charte et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, en raison de l’omission par le Tribunal de verser un élément de preuve au dossier.
Sur le premier moyen,relatif au délai de prescription
Argumentation des parties
14 Par la première branche de son premier moyen, Tirrenia fait valoir que le Tribunal a estimé à tort que le délai de prescription prévu à l’article 17 du règlement 2015/1589 n’avait pas expiré. Elle relève que la Commission s’est limitée à enjoindre à l’État italien de récupérer les intérêts courus du 1er janvier au 26 mars 2007 sur le principal de l’aide accordée à Adriatica.
15 Or, tout d’abord, le Tribunal n’aurait pas précisé la date à partir de laquelle le délai de prescription de dix ans a commencé à courir, mais se serait contenté d’affirmer, au point 62 de l’arrêt attaqué, que les pouvoirs de la Commission d’ordonner la récupération de l’aide accordée à Adriatica, y compris des intérêts, n’étaient nullement prescrits à la date à laquelle la décision litigieuse a été adoptée.
16 Toutefois, après la récupération par la République italienne du montant de 8 651 600 euros, correspondant au montant principal de l’aide assorti des intérêts calculés à compter du 1er janvier 1992, la Commission n’aurait émis aucune objection spécifique quant au défaut de recouvrement des intérêts au titre de la période allant du 1er janvier au 26 mars 2007, alors même que ce défaut de recouvrement aurait dû être traité dans une procédure distincte ou, à tout le moins, être contesté par la Commission. S’agissant spécifiquement de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision litigieuse, le délai de prescription de dix ans serait donc expiré.
17 Par la seconde branche de son premier moyen, Tirrenia considère que le Tribunal aurait dû lui permettre d’invoquer la violation des droits de la défense de l’État italien au cours de la procédure administrative. En effet, d’une part, l’absence de contestation spécifique du défaut de recouvrement des intérêts au titre de la période allant du 1er janvier au 26 mars 2007 aurait empêché la République italienne de prendre position sur ce point et, ainsi, d’engager un débat contradictoire. D’autre part, la jurisprudence citée par le Tribunal à l’appui de sa position serait soit dénuée de pertinence soit dénaturée. Elle serait, en outre, contredite par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal.
18 La Commission soutient que Tirrenia n’identifie pas les points de l’arrêt attaqué qu’elle considère comme entachés d’une erreur. Elle nourrit donc des doutes sérieux quant à la recevabilité de la première branche du premier moyen. En outre, par cette première branche de ce moyen, Tirrenia ne chercherait qu’à obtenir une seconde appréciation sur le fond, ce qui serait irrecevable. La seconde branche dudit moyen serait également irrecevable, dès lors qu’elle serait liée à la première branche. Le moyen, pris en ses deux branches serait, en tout état de cause, non fondé.
Appréciation de la Cour
19 Contrairement à ce que prétend la Commission, Tirrenia vise à faire constater, par le présent moyen, des erreurs de droit prétendument commises par le Tribunal. En outre, il ressort sans équivoque de son argumentation relative à la prescription que celle-ci vise l’appréciation du Tribunal figurant aux points 56 à 66 de l’arrêt attaqué.
20 Il s’ensuit que le premier moyen ne saurait être déclaré irrecevable.
21 Quant au fond, tout d’abord, il convient de relever que le Tribunal a rappelé, aux points 52 à 55 de l’arrêt attaqué, les dispositions et la jurisprudence pertinentes concernant la prescription en matière de récupération d’aides d’État et qu’il a vérifié, aux points 56 à 62 de cet arrêt, si l’action de la Commission était, en l’occurrence, prescrite à la date à laquelle la décision litigieuse a été adoptée.
22 À ce dernier égard, il a notamment rappelé, au point 59 dudit arrêt, que, conformément à l’article 16, paragraphes 1 et 2, du règlement 2015/1589, la Commission pouvait ordonner la récupération de l’aide accordée à Adriatica ainsi que des intérêts relatifs à cette aide, lesquels couraient à compter de la date à laquelle l’aide illégale avait été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération. Le Tribunal y a également précisé que, compte tenu des montants déjà remboursés le 26 mars 2007, qui constitue la date de récupération de l’aide au sens de l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, la récupération à effectuer est limitée aux intérêts relatifs à la période allant du 1er janvier au 26 mars 2007.
23 En outre, au point 61 dudit arrêt, le Tribunal a considéré que, en ce qui concerne la prétendue prescription empêchant la Commission d’ordonner la récupération des intérêts encore dus, il suffisait de constater que, contrairement à ce qu’avait soutenu Tirrenia devant lui, l’arrêt de 2009 n’était pas le dernier évènement interrompant la prescription, étant donné que, à la suite du prononcé de cet arrêt, la procédure avait repris et que la Commission avait adopté de nombreuses mesures au sens de l’article 17, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, qui avaient interrompu le délai de prescription.
24 Or, il résulte de ces appréciations du Tribunal que, dans le cadre de son analyse, il a nécessairement tenu compte de la date à partir de laquelle le délai de prescription de dix ans a commencé à courir en l’espèce, de sorte qu’il ne saurait être utilement reproché au Tribunal de ne pas avoir précisé de manière explicite cette date.
25 Ensuite, conformément à une jurisprudence constante, l’obligation de récupération vise à rétablir le statu quo ante et s’étend, partant, au-delà du principal de l’aide, aux intérêts échus (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, points 131 à 134).
26 Or, l’obligation de récupération n’étant ainsi satisfaite qu’avec la récupération également des intérêts échus, le défaut de recouvrement des intérêts au titre de la période allant du 1er janvier au 26 mars 2007 ne nécessitait aucunement l’engagement d’une procédure distincte ni même une contestation spécifique de la part de la Commission.
27 Enfin, s’agissant de la possibilité pour Tirrenia d’invoquer la violation des droits de la défense de l’État italien au cours de la procédure administrative, il convient de relever que, par son argumentation avancée en première instance, Tirrenia faisait valoir que, en ayant omis de soulever auprès des autorités italiennes un grief spécifique relatif à une récupération incomplète des intérêts dus, qui aurait mis ces autorités en position de se défendre sur ce point, la Commission n’aurait pas interrompu la prescription.
28 Or, le Tribunal ayant constaté, au point 61 de l’arrêt attaqué, que de nombreuses mesures prises par la Commission ont interrompu le délai de prescription, cette argumentation ne saurait en tout état de cause prospérer et doit, partant, être écartée comme étant inopérante.
29 Il s’ensuit que le premier moyen doit être écarté comme étant manifestement non fondé.
Sur le deuxième moyen,relatif à la constatation d’une aide nouvelle
Argumentation des parties
30 En premier lieu, Tirrenia est d’avis que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras figure au nombre des liaisons visées par les décrets-lois de 1936, de sorte que la mesure relative à cette ligne doit être qualifiée d’aide existante.
31 En effet, le régime d’aides initial comprenait, selon Tirrenia, toutes les liaisons entre l’Italie et la Grèce, de sorte que l’approche du Tribunal reviendrait à recourir à des présomptions négatives et à renverser la charge de la preuve incombant à la Commission. En outre, le Tribunal n’expliquerait pas de quelle manière les ajouts, dans la décision litigieuse, de quelques références à la législation italienne, qui ne figuraient pas dans la décision 2005/163, seraient susceptibles de remédier au défaut de motivation constaté par l’arrêt du 4 mars 2009, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission (T‑265/04, T‑292/04 et T‑504/04, ci-après l’« arrêt de 2009 », EU:T:2009:48). En effet, au-delà de ces ajouts, il ne semblerait exister aucun élément objectif, qu’il appartiendrait à la Commission d’établir, permettant de contester valablement la position du gouvernement italien.
32 En deuxième lieu, Tirrenia conteste l’appréciation du Tribunal selon laquelle les modifications apportées aux décrets-lois de 1936 sont de nature substantielle.
33 Tout d’abord, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 98 de l’arrêt attaqué, l’abrogation des décrets-lois de 1936 par la legge n. 684 – Ristrutturazione dei servizi marittimi di preminente interesse nazionale (loi no 684 portant restructuration des services maritimes d’intérêt national prééminent), du 20 décembre 1974 (GURI no 336, du 24 décembre 1974, p. 9008), n’impliquerait pas de telles modifications, dès lors que le régime d’aide initial, issu de ces décrets-lois, aurait simplement été transposé dans un nouveau cadre réglementaire, sans subir de modifications matérielles. Le point 104 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il refuse toute pertinence au renvoi que Tirrenia a fait, à cet égard, à l’arrêt de 2009 et n’explique pas de quelle manière la décision litigieuse aurait remédié au défaut de motivation constaté dans cet arrêt, serait entaché d’un défaut de motivation. Le point 114 de l’arrêt attaqué serait également insuffisamment motivé.
34 Ensuite, Tirrenia aurait relevé que les modifications apportées au régime d’aide initial étaient détachables de celui-ci et, partant, non substantielles, ce qui empêcherait, selon la jurisprudence du Tribunal, la constatation d’une aide nouvelle. Or, le Tribunal aurait répondu à cet argument de manière péremptoire sans se prononcer sur celui-ci.
35 Enfin, il ressortirait du point 127 de l’arrêt de 2009, revêtu de l’autorité de la chose jugée, qu’il appartenait à la Commission, d’une part, d’examiner le fait que les modifications du régime d’aide initial, introduites après l’entrée en vigueur du traité CE, visaient à limiter le montant de la participation publique à ce régime et, d’autre part, d’expliquer les effets de ces modifications sur la concurrence et sur le marché intérieur. Or, ni la Commission, dans la décision litigieuse, ni le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, n’auraient procédé à cet examen et à cette explication. Cet arrêt souffrirait donc, sur ce point également, d’un défaut de motivation.
36 En troisième lieu, l’examen par le Tribunal de l’argumentation de Tirrenia, selon laquelle la participation d’Adriatica à une entente restrictive de concurrence ne saurait emporter l’incompatibilité de l’aide accordée à celle-ci avec le marché intérieur, serait superficiel et contradictoire. En effet, cette aide et cette entente, dont le champ serait limité à la fixation des prix de transport des véhicules utilitaires, n’auraient pas le même objet. L’arrêt attaqué serait ainsi entaché d’une erreur manifeste, dénué de base légale et insuffisamment motivé.
37 En effet, le Tribunal aurait dû vérifier si la Commission a, dans la décision litigieuse, défini concrètement la situation du marché, comparé convenablement l’objet de la mesure d’aide et celui de l’entente, correctement expliqué de quelle manière la distorsion de concurrence induite par la mesure d’aide a été aggravée par le dispositif cumulé de cette mesure et la participation d’Adriatica à cette entente et, par conséquent, motivé le rapport de cause à effet s’agissant de l’existence consécutive d’obstacles aux échanges entre États membres. Or, la motivation de la décision litigieuse serait sommaire et insuffisante à cet égard, ce que le Tribunal aurait omis de censurer.
38 En quatrième lieu, Tirrenia considère comme contraire au principe général de proportionnalité l’obligation faite à Adriatica, en sus de l’amende qui lui a été infligée en raison de sa participation à une entente restrictive de concurrence, de restituer une aide compatible, en soi, avec le marché intérieur.
39 La Commission doute de la recevabilité du deuxième moyen, dès lors qu’elle considère l’argumentation avancée comme étant insuffisamment claire et précise. En particulier, s’agissant de l’obligation de restituer l’aide accordée à Adriatica en sus de l’amende infligée à celle-ci, Tirrenia n’identifierait pas les points de l’arrêt attaqué contre lesquels est dirigée son argumentation et les vices dont ces points seraient entachés. En tout état de cause, ce deuxième moyen serait également non fondé.
Appréciation de la Cour
40 Contrairement à ce que prétend la Commission, l’argumentation de Tirrenia sous le présent moyen est suffisamment claire pour que la Cour puisse l’examiner et vise à faire constater des erreurs prétendument commises par le Tribunal. En outre, l’argumentation relative à l’obligation de restituer l’aide accordée à Adriatica vise sans équivoque les points 132 à 134 de l’arrêt attaqué.
41 Le deuxième moyen ne saurait, dès lors, être écarté comme étant irrecevable.
42 Quant au fond, en premier lieu, il convient de rappeler que le Tribunal a relevé et considéré, aux points 91 à 93 de l’arrêt attaqué, ce qui suit :
« 91 En premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel dès lors que les liaisons entre l’Italie et la Grèce étaient déjà prévues par les décrets-lois de 1936, elles comprenaient nécessairement la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras, il convient d’ores et déjà de relever que les autorités italiennes ont été en défaut d’établir la date à laquelle la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras a été introduite et que, au contraire, il ressort d’une lettre des autorités italiennes du 29 octobre 2002, mentionnée au considérant 188 de la décision [litigieuse] et qui n’a pas été contestée par la requérante, que ladite ligne n’a été introduite par Adriatica qu’en 1978.
92 Par ailleurs, il y a lieu de relever qu’une obligation de service public qui serait aussi générale et indifférenciée et porterait sur l’ensemble des lignes entre l’Italie et la Grèce sans spécifier les lignes spécifiquement concernées par un régime d’aide serait incompatible avec l’encadrement qui implique, aux fins de la détermination du montant des aides nécessaires et de leur proportionnalité au regard des obligations de service public ainsi que de leur compatibilité avec les règles du traité, que les lignes faisant l’objet d’un financement public soient précisément identifiées ou que leur existence avant l’entrée en vigueur du traité CE soit démontrée afin de pouvoir s’assurer, notamment, du respect de la condition selon laquelle le montant des aides octroyées ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir les obligations de service public imposées.
93 Même s’il peut être admis que, en 1936, l’existence de régimes d’aide ne saurait être regardée à l’aune des conditions prévalant à la suite de l’entrée en vigueur du traité CE, il n’empêche que la Commission devait s’assurer, afin de déterminer la qualification de “régime d’aide existant”, d’une part, que la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenítsa/Patras existait au moment de l’entrée en vigueur du traité CE et, d’autre part, qu’elle bénéficiait d’un financement public en compensation d’obligations de service public. En l’absence de toute précision sur ce point, il ne saurait être considéré que les décrets-lois de 1936 permettaient, y compris après l’entrée en vigueur du traité CE, de qualifier d’aides existantes des aides pour des lignes qui n’en bénéficiaient pas auparavant. »
43 Or, contrairement à ce que prétend Tirrenia par l’argumentation résumée aux points 30 et 31 de la présente ordonnance, ces considérations sont exemptes d’erreurs de droit.
44 En outre, le Tribunal ayant relevé, aux points 84 à 86 et 90 de l’arrêt attaqué, les éléments de motivation figurant à cet égard dans la décision litigieuse, Tirrenia ne saurait valablement reprocher à celui-ci de ne pas avoir relevé les différences de motivation existant entre cette décision et la décision 2005/163.
45 En deuxième lieu, s’agissant du point de savoir si le régime d’aide institué par les décrets-lois de 1936 a été modifié substantiellement, premièrement, le Tribunal a relevé, au point 96 de l’arrêt attaqué, que ce régime a été abrogé en 1974 et a précisé, au point 102 de cet arrêt, que les modifications apportées par le régime d’aide qui s’est substitué audit régime « portaient, d’abord, sur le mécanisme de compensation permettant de calculer le montant de la compensation pour l’exploitation de lignes soumises à un régime de service public, y compris la marge bénéficiaire, ensuite, sur la période au cours de laquelle la compensation pouvait être versée et, enfin, sur les ressources budgétaires affectées au financement des liaisons de service public ».
46 Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a estimé qu’il s’agissait de modifications substantielles.
47 Deuxièmement, contrairement à ce que prétend Tirrenia, l’arrêt attaqué n’est pas entaché d’un défaut de motivation. En particulier, dans la mesure où Tirrenia tire argument de l’arrêt de 2009, il suffit de relever que cet arrêt porte sur la décision 2005/163 et ne saurait ainsi établir que la décision litigieuse ou l’arrêt attaqué, qui porte sur cette dernière décision, souffriraient d’un défaut de motivation.
48 Troisièmement, le Tribunal ayant expliqué de manière précise, au point 107 de l’arrêt attaqué, les raisons pour lesquelles les modifications apportées au régime d’aide initial ne sauraient être considérées comme détachables de celui-ci, l’argumentation de Tirrenia résumée au point 34 de la présente ordonnance doit être écartée comme étant dénuée de tout fondement.
49 Quatrièmement, à supposer même que les modifications constatées par le Tribunal visaient à limiter le montant de la participation publique, il n’en demeurerait pas moins qu’elles étaient substantielles et que, partant, il ne saurait être considéré qu’il existait une continuité entre le régime d’aide initial et celui issu de ces modifications. En outre, eu égard à ces constatations, il n’était pas nécessaire que le Tribunal, pour trancher le point de savoir si le régime qui s’est substitué au régime d’aide initial devait être considéré comme un régime d’aide existant ou nouveau, vérifie également les effets de ces modifications sur la concurrence et le marché intérieur.
50 Cinquièmement, lorsque Tirrenia invoque l’autorité de la chose jugée, elle méconnaît encore que l’arrêt de 2009 porte sur la décision 2005/163, tandis que l’arrêt attaqué porte sur la décision litigieuse. Or, l’objet de ces deux arrêts étant distinct, le premier ne peut pas être revêtu d’une telle autorité à l’égard du second.
51 En troisième lieu, d’une part, l’argumentation de Tirrenia selon laquelle la participation d’Adriatica à une entente restrictive de concurrence ne saurait emporter l’incompatibilité de l’aide accordée à celle-ci avec le marché intérieur procède d’une lecture partielle de l’arrêt attaqué qui expose, aux points 119 à 122, le conflit direct entre les objectifs de cette aide et ceux de l’entente qui ont amené le Tribunal à confirmer l’incompatibilité de ladite aide avec le marché intérieur. Le fait que l’entente avait un objet plus limité que l’aide n’est pas de nature à infirmer les appréciations du Tribunal.
52 D’autre part, contrairement à ce que prétend Tirrenia, l’arrêt attaqué satisfait à l’obligation de motivation incombant au Tribunal.
53 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt du 29 avril 2021, Achemos Grupė et Achema/Commission, C-847/19 P, EU:C:2021:343, point 62).
54 Partant, l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne se borne à lui imposer de faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement qu’il a suivi, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel. Cette obligation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre de l’examen d’un pourvoi (arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission, C-649/20 P, C-658/20 P et C-662/20 P, EU:C:2023:60, point 113).
55 Or, en l’occurrence, la motivation de l’arrêt attaqué permet à Tirrenia de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour rejeter le deuxième moyen invoqué devant lui et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre de l’examen du deuxième moyen du présent pourvoi.
56 En quatrième lieu, dans la mesure où Tirrenia considère comme contraire au principe général de proportionnalité l’obligation faite à Adriatica, en sus de l’amende qui lui a été infligée, de restituer une aide qui a été considérée comme étant, en soi, compatible avec le marché intérieur, d’une part, cette argumentation procède d’une lecture erronée des points 119 à 122 de l’arrêt attaqué et des considérants 279 à 282 de la décision litigieuse qui exposent, respectivement, que la combinaison de l’aide accordée à Adriatica et de l’entente à laquelle celle-ci a participé a eu pour effet, notamment, de renforcer les effets de distorsion causés par cette aide. En conséquence, ni le Tribunal ni la Commission n’ont considéré que ladite aide aurait été, en soi, compatible avec le marché intérieur.
57 D’autre part, le Tribunal ayant à bon droit rappelé, au point 133 de l’arrêt attaqué, les objectifs distincts poursuivis par la récupération de l’aide accordée à Adriatica et par la condamnation de celle-ci au paiement d’une amende pour sa participation à l’entente, l’argumentation de Tirrenia tirée d’un cumul de sanctions ne saurait prospérer.
58 Eu égard aux considérations qui précèdent, le deuxième moyen doit être écarté comme étant manifestement non fondé.
Sur le troisième moyen,relatif à la durée de la procédure
Argumentation des parties
59 En premier lieu, Tirrenia conteste l’appréciation du Tribunal selon laquelle elle n’aurait soulevé dans sa requête introductive d’instance aucun grief relatif à une violation du principe de proportionnalité, étant donné qu’elle avait insisté dans plusieurs points de cette requête sur le caractère disproportionné de la mesure de récupération et de ses conséquences. L’absence d’utilisation des termes « principe de proportionnalité » n’impliquerait pas que, en développant ses arguments, elle n’ait pas eu l’intention d’invoquer clairement ce principe. Tirrenia aurait, en outre, accompagné sa requête d’un exposé sommaire des moyens invoqués et n’aurait fait que reprendre son argumentation initiale, d’ailleurs bien comprise par la Commission, dans sa réplique.
60 En deuxième lieu, s’agissant de la violation par la Commission des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, au vu de la durée excessive de la procédure, le Tribunal, tout en confirmant implicitement que la Commission a méconnu le principe de bonne administration garanti par l’article 41 de la Charte en étant restée inactive pendant presque six ans, aurait estimé, en se fondant sur des motifs erronés, que cette durée était justifiée. La Commission, qui aurait pu engager des procédures distinctes pour chacune des entités du groupe Tirrenia, serait seule responsable de la durée excessive de cette procédure. En estimant, pourtant, que celle-ci n’avait pas violé ses obligations de diligence, le Tribunal, qui n’a pas justifié de la complexité particulière de la présente affaire, aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.
61 En outre, l’arrêt attaqué serait entaché d’une contradiction, dès lors que le Tribunal affirme, au point 168 de cet arrêt, que, par la jurisprudence qu’elle avait rappelée, Tirrenia ne pouvait être regardée comme ayant invoqué des circonstances exceptionnelles, puis, au point 170, qu’elle s’était référée à de telles circonstances. En tout état de cause, cette jurisprudence aurait une portée excédant les faits de l’affaire et aurait dû être transposée au cas d’espèce.
62 Par ailleurs, aux points 173 à 177 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait écarté à tort l’arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, EU:C:1987:502), invoqué par Tirrenia, au motif que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’aide avait été notifiée à la Commission. Pourtant, en dépit de l’absence de notification de l’aide accordée à Adriatica, la Commission aurait également eu connaissance de cette aide, par suite de l’annulation de la décision 2005/163 par l’arrêt de 2009.
63 La requérante ajoute que le retard pris par la Commission dans l’appréciation d’une aide peut engendrer une confiance légitime dans le chef des bénéficiaires de cette aide. Le fait qu’il était prévisible pour Tirrenia que la Commission allait, à la suite de l’annulation de la décision 2005/163, reprendre la procédure ne serait pas, en l’espèce, de nature à affecter sa confiance légitime.
64 En troisième lieu, la durée excessive de la procédure aurait entraîné, d’une part, des conséquences disproportionnées, eu égard au fait que le montant des sommes à récupérer a presque doublé en raison de l’application des intérêts sur une période décennale, et, d’autre part, la violation des principes de bonne administration, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Cette durée excessive aurait également porté atteinte à l’article 16 de la Charte consacrant la liberté d’entreprise et l’exercice de la liberté économique, ainsi qu’à l’article 17 de celle-ci, et à l’article 1er du protocole additionnel no 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signé à Paris le 20 mars 1952, qui garantissent le droit de propriété.
65 Selon Tirrenia, le montant à récupérer se compose, exclusivement, des intérêts non recouvrés au titre de la période allant du 1er janvier au 26 mars 2007, que la durée injustifiée et excessive de la procédure aurait porté à 1 070 788,30 euros. Un montant aussi disproportionné causerait un préjudice économique gravissime à Tirrenia, en cours de liquidation, et à son groupe de créanciers. La récupération ne saurait pourtant aboutir à une mesure disproportionnée au regard de la finalité des dispositions du traité FUE régissant les aides d’État ni donner lieu à un enrichissement sans cause de l’État membre concerné, dans la mesure où celui-ci se borne à récupérer un montant qui ne pouvait pas être versé au bénéficiaire.
66 De plus, le respect du droit de propriété exigeant que des limitations ne peuvent être apportées à ce droit que lorsqu’elles sont, notamment, nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général, il serait difficile de comprendre en l’espèce la raison ainsi que l’intérêt public prépondérant inhérents à la décision litigieuse qui commanderait, plus de dix ans après que la violation présumée du droit de l’Union a été commise, la récupération des seuls intérêts auprès d’une entreprise en liquidation qui n’est plus présente sur le marché et qui doit uniquement désintéresser son groupe de créanciers, dont les attentes légitimes risquent d’être déçues si cette décision est confirmée.
67 La Commission relève que Tirrenia ne précise pas le passage précis de l’arrêt attaqué dans lequel le Tribunal aurait affirmé que la Commission était en droit d’imposer des conséquences « disproportionnées », pas plus qu’elle n’indiquerait quel point de l’arrêt attaqué porterait atteinte aux articles 16 et 17 de la Charte. Elle se limiterait donc encore à réitérer les arguments déjà invoqués en première instance. En tout état de cause, ce troisième moyen serait également non fondé.
Appréciation de la Cour
68 Contrairement à ce que prétend la Commission, Tirrenia vise à faire constater, par le présent moyen, des erreurs de droit prétendument commises par le Tribunal. En outre, il ressort sans équivoque de son argumentation relative aux conséquences « disproportionnées » et aux violations de la Charte que celle-ci est liée à une prétendue omission fautive par le Tribunal, aux points 156 à 165 de l’arrêt attaqué, de constater une durée excessive de la procédure administrative.
69 Il s’ensuit que le troisième moyen ne saurait être déclaré irrecevable.
70 Quant au fond, en premier lieu, s’agissant du point de savoir si le Tribunal pouvait rejeter les allégations de Tirrenia relatives à une violation du principe de proportionnalité comme étant irrecevables, en l’absence d’une argumentation spécifique dans la requête en première instance, il suffit de constater que les éléments avancés dans le pourvoi ne sont pas de nature à établir que cette requête contenait une réelle argumentation portant sur une violation de ce principe. En effet, le seul fait que la requérante ait insisté, dans plusieurs points de cette requête, sur le caractère disproportionné de la mesure de récupération et de ses conséquences et qu’elle ait accompagné ladite requête d’un exposé sommaire des moyens invoqués n’équivaut pas à une argumentation.
71 Partant, au point 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal pouvait, conformément à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et de l’article 76, premier alinéa, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, accueillir la fin de non-recevoir soulevée par la Commission en première instance quant à une prétendue violation du principe de proportionnalité.
72 En deuxième lieu, premièrement, procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué l’affirmation selon laquelle le Tribunal aurait confirmé implicitement que la Commission a méconnu le principe de bonne administration garanti par l’article 41 de la Charte en étant restée inactive pendant presque six ans. Le Tribunal expose, au contraire, aux points 159 à 165 de cet arrêt, les démarches de la Commission et les difficultés qu’elle a rencontrées pour obtenir les informations requises des autorités italiennes et constate, notamment, au point 161 dudit arrêt, que « [l]e retard [dans l’instruction de l’affaire] est largement imputable aux autorités italiennes ».
73 Deuxièmement, ainsi qu’il ressort de l’article 335 TFUE, les institutions de l’Union européenne bénéficient d’une autonomie administrative et fonctionnelle qui porte, notamment, sur les questions liées à leur fonctionnement respectif (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2011, Région de Bruxelles-Capitale, C‑137/10, EU:C:2011:280, points 20 et 22).
74 Partant, dans les limites des règles de droit applicables, dont notamment le principe de bonne administration, l’organisation du travail de la Commission relève de ses pouvoirs d’organisation interne.
75 Si Tirrenia invoque ce principe afin de soutenir que la Commission aurait dû mener des procédures distinctes pour chacune des entités du groupe Tirrenia, elle n’indique pourtant pas en quoi ledit principe s’opposerait à l’examen par cette institution de l’ensemble des entités de ce groupe dans le cadre d’une procédure unique.
76 Troisièmement, contrairement à ce que prétend Tirrenia, l’arrêt attaqué n’est pas entaché d’une contradiction, dès lors que le point 168 de cet arrêt vise des circonstances exceptionnelles « propres à l’affaire soumise en l’espèce au Tribunal », tandis que le point 170 dudit arrêt relève que Tirrenia s’est référée, à titre de circonstance exceptionnelle, à une décision adoptée par la Commission dans une autre affaire.
77 Du reste, Tirrenia n’a relevé devant la Cour aucun élément tendant à démontrer qu’elle aurait établi devant le Tribunal des circonstances exceptionnelles justifiant une confiance légitime dans le fait que la Commission avait renoncé à la récupération intégrale de l’aide accordée à Adriatica. Dans la mesure où elle se réfère, dans ce cadre, à l’arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, EU:C:1987:502), et à une décision adoptée par la Commission dans une autre affaire, qu’elle avait déjà invoqués devant le Tribunal, Tirrenia n’établit toutefois pas que seraient erronées les distinctions que celui-ci a opérées, aux points 170 à 177 de l’arrêt attaqué, entre les circonstances de la présente espèce et celles de ce précédent arrêt et de cette précédente décision. En particulier, l’annulation de la décision 2005/163 par l’arrêt de 2009 ne saurait être considérée comme étant équivalente à une notification de l’aide accordée à Adriatica.
78 En troisième lieu, tout d’abord, bien que la durée de la procédure administrative soit, de prime abord, considérable, les faits constatés par le Tribunal ne permettent pas de considérer qu’elle était excessive, eu égard, en particulier, à la complexité de l’affaire et aux difficultés que la Commission a rencontrées pour obtenir les informations requises des autorités italiennes. Or, l’argumentation de Tirrenia selon laquelle l’arrêt attaqué, d’une part, violerait les principes de proportionnalité, de sécurité juridique, de confiance légitime et de bonne administration ainsi que la liberté d’entreprise et le droit de propriété et entraînerait, d’autre part, l’enrichissement sans cause de l’État italien se fonde précisément sur une durée excessive de cette procédure. Elle doit donc être écartée comme étant dénuée de tout fondement.
79 Ensuite, le même sort doit être réservé à l’argument de Tirrenia selon lequel la Commission serait seule responsable de la durée de ladite procédure, dès lors que le Tribunal a clairement indiqué au point 161 de l’arrêt attaqué que cette durée est largement imputable aux autorités italiennes.
80 Enfin, dans le cadre son argumentation, Tirrenia fait abstraction de l’intérêt public qui s’attache à l’objectif du rétablissement du statu quo ante poursuivi par l’obligation de récupérer non seulement le principal de l’aide mais également les intérêts échus (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, points 131 à 134).
81 Eu égard aux considérations qui précèdent, le troisième moyen doit être écarté comme étant manifestement non fondé.
Sur le quatrième moyen,relatif à l’omission de verser un élément de preuveau dossier
Argumentation des parties
82 Tirrenia relève que, le 7 mars 2002, elle a transmis au greffe du Tribunal la décision (UE) 2022/756 de la Commission, du 30 septembre 2021, concernant les mesures d’aide SA.32014, SA.32015, SA.32016 (2011/C) (ex 2011/NN) mises à exécution par l’Italie et la Regione Sardegna en faveur de Saremar (JO 2022, L 138, p. 19), en demandant qu’elle soit versée au dossier, conformément à l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal.
83 Toutefois, il n’apparaîtrait pas que cet élément de preuve ait été versé au dossier ni, en toute hypothèse, qu’il ait été pris en compte par le Tribunal. Or, le Tribunal n’aurait fourni aucune motivation à cet égard.
84 Tirrenia précise que la décision 2022/756 est étroitement liée aux procédures diligentées à l’égard des autres sociétés du groupe Tirrenia. Elle fait valoir que, par cette décision, la Commission a clôturé la procédure au motif qu’« elle est devenue sans objet » et estime que cette institution aurait dû en faire de même dans la présente affaire.
85 En omettant de verser au dossier cet élément de preuve, le Tribunal aurait donc méconnu son règlement de procédure et son obligation de motivation. Il aurait également violé les droits de la défense de Tirrenia, les articles 41, 47 et 48 de la Charte ainsi que l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
86 La Commission conteste l’argumentation de Tirrenia.
Appréciation de la Cour
87 Aux termes de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, à titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles‑ci soit justifié.
88 Toutefois, à supposer même que la décision visée au point 82 de la présente ordonnance puisse être qualifiée d’élément de preuve au sens de cette disposition, il est constant que son dépôt n’a été effectué, ainsi que le relève à bon droit la Commission, que plusieurs mois après la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure.
89 Il en découle que les conditions d’application de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal n’étaient manifestement pas réunies et que cette décision ne pouvait donc manifestement pas être versée, au titre de cette disposition, au dossier du Tribunal
90 Or, il ne saurait être exigé du Tribunal qu’il fournisse, dans l’arrêt attaqué, une motivation explicite sur un élément qui ne pouvait manifestement pas être versé à son dossier.
91 Partant, le quatrième moyen doit être écarté comme étant manifestement non fondé.
92 Eu égard aux considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté comme étant manifestement non fondé.
Sur les dépens
93 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
94 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
95 Tirrenia ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :
1) Le pourvoi est rejeté comme étant manifestement non fondé.
2) Tirrenia di navigazione SpA est condamnée aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure : l’italien.